logo ToaruLN FR
Sommaire
← Illustrations Prologue Chapitre 1 →
Illustration couleur 1 Illustration couleur 2

Prologue

À une intersection, la veille de Noël

Prepare_for_Xmas_Eve!

>> 24 Décembre, minuit

>> District 7, Quartier commercial, Cité Académique, Tokyo Ouest

Les trois lames d’une hélice tournaient sans s’arrêter.

On pouvait trouver ces éoliennes partout dans cette ville

Un total d’environ deux-cent Samouraï marchaient à travers la poudreuse de la ville, tard dans la nuit.

« En quoi est-ce une activité de Noël ? Quelle sorte de non-sens est-ce là ? »

Pardonnez-moi. Elles étaient en fait les brillantes et éclatantes filles du prestigieux collège Tokiwadai. L’une d’elles, Misaka Mikoto, était (jambes nues) et portait un épais manteau par-dessus son blazer d’uniforme. Ses lèvres étaient bleues et ses yeux fixaient le lointain. Peut-être que ses jambes nues pendant une nuit de neige étaient à blâmer. Elles étaient vraiment nues.

« Je vais mourir. Je le pense vraiment, mourir. »

« Onee-sama, si tu ne restes pas forte, tu feras vraiment un tour de l’autre côté de la rivière Sanzu. »

La petite nouvelle aux deux queues de cheval qui avait insisté pour faire une allusion très asiatique, même la veille de Noël, était Shirai Kuroko.

Tout le monde adorait la veille de Noël, et c’était là. Même cet animal forestier qui avait fait la une des journaux en trouvant une caméra et en prenant un selfie apprendrait comment s’amuser quand plongé dans cet environnement. Pourtant il n’y avait aucune joie ici, il faisait assez froid pour faire geler les flaques, et les filles étaient coincées à faire une activité scolaire ennuyeuse.

Le dirigeable flottant lentement à travers le ciel étoilé diffusait un bulletin météo sur le grand écran situé sur son ventre.

« Le 24 sera un jour ensoleillé, mais le petit matin et tard dans la nuit pourra avoir des pluies éparses. La température minimale prévue est -5°C, donc – wow, nous devrions nous attendre à un Noël tout blanc ! »

« Arrêtons de penser à la mort, Onee-sama. C’est déjà la veille de Noël, après tout. »

Oui.

Qu’importe un peu de neige ? Pour cette prestigieuse école avec histoire et tradition, Noël était un moment solennel, silencieux et pure. Personne n’était de bonne humeur ici. Elles étaient occupées à faire un travail spécial dehors. En d’autres mots, elles ramassaient des déchets dans la ville. Vous pouvez représenter cela comme une sorte de rallye d’endurance de vingt-quatre heures. Ceci était bien au-delà des limites de l’enseignement obligatoire.

Les robots nettoyeurs en forme de tambours qui passaient dans le coin étaient beaucoup plus bruyants que d’habitude. On leur avait probablement donné la capacité de souffler de l’air chaud par terre comme un sèche-cheveux pour faire fondre la neige… Bien que, s’ils faisaient simplement fondre la neige en la laissant là, elle regèlerait sûrement sur la route sous forme de glace.

Mikoto utilisait une pince à déchets, qui ressemblait à celles utilisées en boulangerie pour ramasser quelque chose par terre. Les capteurs du robot nettoyeur l’avait probablement raté avec la neige rendant le sol plus bosselé que d’habitude. Une fois ramassé, elle se rendit alors compte que c’était le film plastique d’un roulé fourré à la crème. Pire encore, le reste du roulé à moitié mangé demeurait toujours dedans, et de la crème avait giclé en dehors, avec une couleur entre le jaune et le blanc. C’était le pire. Au lieu de déchets combustibles ou non combustibles, elle avait trouvé du gaspillage alimentaire. Pour une fois, elle était reconnaissante pour la météo glaciale de Décembre. Si ce déchet n’avait pas été gelé, la scène aurait été bien plus horrifique.

Elle trierait les déchets plus tard. Elle soupira pendant que, au contraire du Père Noël, elle remplissait son sac de cadeaux dépourvus de tout rêve et de tout espoir.

« Pff. Ce n’est pas comme si Tokiwadai était une école missionnaire, donc pourquoi on fait ça ? Est-ce que ça vaut vraiment le coup pour le statut et le prestige que ça nous apporte supposément ? »

« Suit cette voie et tu finiras par rejeter l’entièreté des vacances de Noël, vu que ça vient de l’étranger aussi. »

« Je pensais que la Cité Académique était entièrement vouée au culte des sciences et de l’athéisme numérique. »

« Un mot de plus et on annule le Réveillon de Noël, et puis on rentre. »

« De quel côté es-tu ici !? »

« Du côté qui me laisse revenir à ce jardin féminin et me réchauffer avec la chaleur du corps de quelqu’un, bien sûr ! Et cette personne, c’est toi, Onee-sama !! »

Cette réponse inappropriée commença à détourner le fil de la conversation.

Cependant, cette crise était aussi la meilleure opportunité pour Misaka Mikoto. Elle n’était pas prête de gâcher cet évènement annuel avec des tâches fastidieuses, comme si elle était en prison.

L’entièreté des étudiants étaient sortis en même temps.

Si elle devait faire semblant de se perdre, c’était le bon moment.

Soudainement, elle sentit un doigt glisser le long de son dos, et entendit un murmure dans son oreille.

“(Misaaaka-san☆)”

Elle réalisa alors que quelqu’un se tenait juste derrière elle, mais elle n’était pas assez stupide pour se retourner. Elle regarda la vitre devant elle et vit une fille aux longs cheveux blonds, qui appuyait nonchalamment contre elle.

C’était Shokuhou Misaki.

Mikoto était la Niveau 5 n°3 de la Cité Académique, et c’était la n°5. Son pouvoir était Mental Out, le plus puissant des pouvoirs psychologiques.

Mikoto garda ses yeux sur la vitre, et marmonna ses mots au lieu de les dire tous hauts.

« (Tu peux pas facilement laver le cerveau à tous les professeurs en utilisant ton Mental Out ?) »

« (Ils le savent autant que nous. Regarde les accessoires sur ces professeurs qui peuvent utiliser leurs mains nues pour battre une adolescente qui peut utiliser une puissance de feu équivalente à celle d’un navire de guerre. Ils ont des caméras de 2mm sur leurs nœuds de cravate ou leurs lunettes ont été converties en lunettes intelligentes. Ils compensent leurs angles morts en utilisant à la fois des yeux humains et mécaniques.) »

Ce qui explique pourquoi de la coopération était nécessaire.

Les professeurs de Tokiwadai avaient mis au point une technique pour utiliser leur infériorité numérique, pour contrôler un groupe d’espers puissants. Même Misaka n’était pas assez naïve pour penser qu’elle pourrait forcer le passage.

Mikoto pouvait gérer les machines, et Shokuhou les esprits humains. Ces deux n’allaient normalement jamais ensemble, mais ce cas était une raison suffisante pour joindre leurs forces.

« (Tu es rapide, Misaka-san. On veut s'enfuir au plus vite, alors je m'inquiète moins des profs que de cette fille coincée de Judgment capable de se téléporter à nos trousses. Je suis ravie que tu l'aies maîtrisée pour moi aussi vite☆) »

« ... »

« (Quoi, tu ne vas tout de même pas te sentir coupable à la dernière seconde. Pour être claire, j'ai laissé les filles de ma clique derrière. Se déplacer en grand groupe nous ralentirait et serait bien trop voyant. Laisser tes émotions prendre le dessus ne mènera qu'à l'échec. Et alors, on se retrouvera toutes coincées dans le couloir pour un Noël d'une capacité de tristesse maximale.) »

Elle le savait.

Elle en avait vraiment conscience.

Mais qu'avait fait de mal Shirai Kuroko alors qu'elle fredonnait joyeusement aux côtés de Mikoto ?

À sa façon, elle prévoyait peut-être de passer un Noël agréable avec sa colocataire. Était-ce vraiment juste de gâcher tout ça ? Alors qu'elle se sentait tiraillée entre l'appel de la liberté et le poids de la responsabilité, Mikoto jeta un coup d'œil au charmant profil de sa cadette et entendit la jeune fille parler dans sa barbe.

« Eh heh heh. Je vais passer ce jour spécial seule avec Onee-sama. Oui, c'est ça. Les profs sont si stricts avec nous qu'il est impossible pour quiconque de s'échapper des dortoirs. Je n'ai qu'à m'asseoir et regarder alors que nous sommes plus ou moins confinées dans nos chambres. Entre la veille et le jour de Noël, cela signifie quarante-huit heures avec Onee-sama rien que pour moi dans une chambre close et secrète, sans regards indiscrets. Personne ne peut entrer de l'extérieur pour nous interrompre, alors je peux ligoter ma bien-aimée Onee-sama, l'allonger sur le sol, lui mettre un bandeau, un casque et un bâillon pour la priver de ses sens habituels, et ensuite utiliser plein d'huile spéciale pour—eh heh, gnihihi—pour non seulement faire de nous des adultes, mais pour abandonner toute humanité alors que nous enfonçons la porte du XXX et— »

« Shokuhou, fais-le maintenant ! »

Mikoto l'interrompit en donnant un ordre à l'autre fille.

Toujours accrochée à Mikoto par-derrière, Shokuhou Misaki sortit une télécommande du petit sac qu'elle portait en bandoulière et la pressa doucement contre l'arrière de la tête de Shirai Kuroko (en plein rêve éveillé).

Elle appuya sur un bouton silencieux et la tête de la fille aux couettes châtain vacilla légèrement. Le Mental Out de Shokuhou Misaki était le pouvoir psychologique le plus puissant.

Mais il avait un éventail d'applications si large qu'il était difficile à contrôler même pour elle, alors elle utilisait différentes télécommandes comme forme d'autosuggestion pour catégoriser son pouvoir.

Et bien sûr...

« Hé. »

Les professeurs savaient ce que son pouvoir pouvait faire, alors la tension traversa celle qui les surveillait dès que la fille blonde porta la main à son sac. Elle s'écria par réflexe d'une voix stricte.

« Shirai, où as-tu trouvé cette télécommande ? Le véritable enregistreur numérique n'a-t-il pas été jeté avec !? »

« Quoi ? »

Elle était concentrée sur la télécommande, mais pas de la bonne manière. Cependant, l'enseignante ne remarqua pas le changement dans ses propres pensées.

« Quelle télécommande ? C'est une planche à kamaboko. »

Mais l'objet que la fille aux couettes, confuse, agitait pour sa défense était une boîte de barre chocolatée vide.

« Non, tu avais définitivement une télécommande. Elle doit être quelque part par là !»

« Encore une fois, c'est une planche à kamaboko. »

« C'est une télécommande !! »

Elles s'obstinaient toutes les deux de manière anormale sur un détail insignifiant. Pendant ce temps, la fille aux cheveux blond miel, la vraie télécommande en main, riait. Elle était bien sûr dans le champ de vision des deux disputeuses, mais aucune ne fit mention d'elle. Comme d'habitude, cette fille avait le chic pour jouer des tours.

La petite dispute entre l'élève et le professeur créa une perturbation dans les rangs alors que les filles surprotégées se rassemblaient pour regarder.

« Et pour les lunettes intelligentes ? » demanda Shokuhou avec un clin d'œil.

« Déjà réglé. »

Même si elles s'enfuyaient, elles ne pouvaient pas simplement jeter les pinces et les sacs poubelles à moitié pleins qu'elles utilisaient, alors elles les laissèrent au bord de la route principale où les robots les trouveraient.

Maintenant arrivait la partie délicate.

Mikoto donna sa réponse désinvolte puis s'éclipsa de la foule vers une ruelle entre des immeubles locatifs.

Elle retira le traceur GPS verrouillé à sa cheville droite et fit de même pour Shokuhou qui l'avait accompagnée, puis elle les jeta dans l'espace entre des caisses de bière empilées à proximité. Ensuite, elle passa ses bras autour de la taille fine de la fille blonde et bondit droit vers le haut. Elle utilisa son pouvoir sur le magnétisme pour se servir du mur en béton armé comme point d'appui et courut jusqu'au toit de l'immeuble de cinq étages. Cela ressemblait beaucoup à l'utilisation de l'aimant de levage géant que les grues utilisent pour déplacer les voitures abandonnées dans une casse.

C'était un exemple des pouvoirs d'esper de la Cité Académique. Cette technologie bizarre utilisait l'électricité, les drogues, la suggestion et toutes sortes d'autres approches scientifiques pour distordre la « réalité » perçue par un individu afin de lui faire faire intentionnellement des observations quantiques d'ordinaire impossibles, de sorte que les observations microscopiques puissent produire des phénomènes macroscopiques.

« Mais ce n'est que l'Étape 1☆ » dit Shokuhou en se penchant par-dessus la rambarde du toit.

Plusieurs filles coururent rapidement dans la ruelle qu'elles venaient de quitter. C'étaient les espers de haut Niveau qui pouvaient être considérées comme la garde royale de la clique de Shokuhou, la plus grande de Tokiwadai.

S'enfuir sur le toit n'était pas suffisant. À peine cinq étages, c'était insignifiant quand leurs poursuivantes pouvaient trouver n'importe quel moyen d'escalader le mur vertical en une seule seconde.

« Puisque tu as pris ce risque pour échapper à la surveillance de Tokiwadai, je suppose que tu veux profiter de ta capacité de liberté pour le 24 et le 25, n'est-ce pas ? Alors on doit vraiment s'appliquer pour cette évasion. »

« Hmm. Shokuhou ? »

« Bien sûr, si une fille avec ta pitoyable capacité de poitrine s'aventure seule en ville à Noël, tu risquerais de finir déprimée en voyant tous ces couples heureux autour de toi. Pfu hi hi. »

« Il y avait plein d'autres moyens de semer nos poursuivantes, alors pourquoi penses-tu que j'ai immédiatement choisi ce toit ? »

« Quoi ? »

La fille blonde cligna des yeux plusieurs fois et le démon nommé Misaka Mikoto lui répondit par un sourire en coin.

« Parce que ça me permet de couper les ponts et de me tirer à l'instant où je n'ai plus besoin de toi. »

« Ahh !? Attends, Misaka-san ! Tu ne vas tout de même pas m'abandonner ici ! »

Quand la Reine de Tokiwadai comprit enfin, elle commença à paniquer, mais Mikoto sauta du bord du toit avec ce sourire toujours aux lèvres. Elle était bien sûr seule cette fois-ci. Elle pouvait utiliser un puissant magnétisme pour bondir aisément d'immeuble en immeuble car elle était la n°3 de Niveau 5 de la Cité Académique. La n°5 ne pouvait pas en faire autant.

« Ahh hah hah !! Amuse-toi bien à porter le chapeau toute seule et à passer un Noël lugubre assise dans le couloir, Shokuhou ! La victoire est mienne !! Mwa ha ha ha ha ha !! »

« J-Je vais t'éradiquer purement et simplement pour ça !! Je le jure, je le ferai, Misaka-saaaan !!!!!! »

Il n'y avait qu'une seule réponse à ces cris désespérés : lui tirer la langue.

Elle était persuadée que Shokuhou avait de la même manière l'intention de la trahir dès l'instant où elles seraient en sécurité au loin. Elles ne s'étaient jamais entendues et une coopération née de la nécessité ne durait jamais longtemps.

La Cité Académique avait semblé si sombre depuis le sol, mais vue d'ici, c'était une mer de lumières décoratives. Quatre-vingts pour cent des résidents de la ville étaient des étudiants, alors ses trains et ses bus s'arrêtaient tôt, mais les étudiants d'université et les professeurs sortaient quand même pour profiter de la vie nocturne. Les professeurs de Tokiwadai avaient probablement choisi un itinéraire qui collait intentionnellement aux zones les plus désertes pour que les élèves ne soient tentées par rien de ce qu'elles voyaient.

« ... »

La réalité de sa situation la rattrapa enfin. C'était la période de Noël et elle était libre de faire ce qu'elle voulait.

« ~ ~ ~ !! »

Sa colonne vertébrale juvénile trembla sous la sensation écrasante de libération et elle faillit perdre le contrôle et s'écraser contre le mur d'un immeuble. Elle pressa les semelles de ses chaussures en cuir contre le mur et utilisa le magnétisme pour réduire sa vitesse tout en descendant vers le sol.

Elle leva les bras, s'étira le dos et laissa l'air libre de la nuit envahir son corps. Elle avait supposé que le quartier commerçant serait envahi de couples à cette période de l'année, mais il y avait une bien plus grande variété de gens aux alentours. Elle vit un groupe de filles entrer dans un box de karaoké et elle vit des frères et sœurs retourner à leur dortoir avec un gâteau entier qu'ils avaient acheté. À en juger par la boîte en carton du gâteau, ils étaient apparemment décorés d'un bonhomme de neige parent et d'un bonhomme de neige enfant qui étaient les stars d'un film d'animation étranger en 3DCG. Elle vit plein de gens seuls dans la longue file d'attente pour la dernière mode : des beignets personnalisés avec des décorations basées sur la date de naissance, le groupe sanguin et la couleur porte-bonheur.

(Hmm. J'avais entendu aux infos que les gens traitent le chocolat de la Saint-Valentin bien différemment de nos jours, alors c'est peut-être similaire.)

Bien sûr, il était inhabituel pour des enfants de primaire et de collège d'être dehors à minuit. Oui, le 24 était un jour inhabituel. Les adultes d'Anti-Skill, le groupe de maintien de l'ordre composé de volontaires parmi les enseignants, tenaient des mégaphones à la main et criaient du haut de leurs véhicules modifiés à partir de SUV.

« Vous pouvez acheter des gâteaux si vous voulez, mais les manger ici est contre le règlement de votre école. Je répète, vous pouvez seulement les acheter et rentrer chez vous ! Pwiiii !! Vous, le couple heureux là-bas ! Je veux bien fermer les yeux sur le fait de se tenir la main, mais la porter comme une princesse, ça dépasse les bornes !! Voulez-vous que je vous place en détention préventive pour que vous passiez le 24 dans une cellule !? »

Même ces profs coincés laissaient faire. Et les sermons semblaient vraiment joués, comme si le seul but était que les gens filment ça et le postent sur les réseaux sociaux.

Il y avait beaucoup de couples heureux que Mikoto ne supportait pas de regarder, mais au moins, elle ne se ferait pas remarquer et n'attirerait pas l'attention parce qu'elle était sortie seule. Il y avait plein de choses qu'elle voulait manger et faire. Elle vérifia une horloge dans la rue et vit qu'il était exactement minuit.

(Cette liberté ne dure que les quarante-huit heures de la veille et du jour de Noël même. Je devrais faire le tour de tout ce que je veux faire toute seule pour tuer le temps jusqu'au matin. Ce serait impoli de commencer à appeler cet idiot à cette heure-ci.)

Cette pensée apparut naturellement dans son esprit, mais elle eut soudain le souffle coupé. Elle voulait repousser ses limites. Il y avait plein de choses qu'elle voulait essayer. À tout le moins, elle en avait marre des Noëls entièrement gérés par les adultes... Mais pourquoi cet idiot aux cheveux en pic lui était-il venu à l'esprit comme la personne avec qui faire ces choses ? Et maintenant que son visage était là dans son esprit, il ne voulait plus partir !? Cela dit, c'était vrai qu'il était le seul garçon auquel elle pouvait penser qu'elle pouvait traîner partout pour faire ces choses !!

(Attends, attends.)

Elle décida de ne pas regarder dans les vitrines. Parce qu'alors elle y verrait le reflet de son visage.

(Attends, attends, attends !! Oui, c'est juste un remplaçant. Comme un mannequin ! Il y a des choses que je veux faire à Noël et il faut un partenaire pour faire ces choses. C'est tout !!)

Mais il semblait que le réveillon de Noël avait déjà commencé car un miracle apparut soudain devant cette fille rêveuse. Il passa en courant à l'intersection devant elle. Kamijou Touma courait à toute vitesse avec un air horrifié sur le visage et avec une petite fille nue dans les bras.

« Quoi— ? »

Ses pensées s'arrêtèrent net.

Mais l'horloge tournait toujours dans la réalité. Alors qu'elle se figeait et restait en arrière, le garçon aux cheveux en pic s'enfuit en portant une petite fille inconnue comme une princesse, pourchassé par un grand groupe de voyous.

« Qu-Qu-Qu-Qu-Qu-Quoi !? Attends ! C'est quoi ce genre de réveillon de Noël que tu passes !? »

Kamijou Touma lui-même n'avait aucune réponse pour quiconque demanderait ce qui se passait ici. Q. Que faisait-il ? Elle était nue. Cette fois, la fille était entièrement nue. N'y avait-il donc aucune limite à son malheur ?

« Ké hé hé. »

La petite fille dans ses bras le regarda avec des yeux poisseux et ses lèvres formèrent un sourire fendu en croissant de lune. C'était une petite fille d'environ dix ans à la peau blanc laiteux et aux cheveux rouge fraise... mais l'expression méchante sur son jeune visage était l'opposé complet de l'innocence enfantine.

Elle semblait ravie qu'il la porte comme une princesse.

Était-ce un drap ou une robe ? Peu importe, elle tenait un tissu rouge fin et totalement inadéquat contre sa poitrine tout en agitant ses pieds nus dans une sorte de bonne humeur déprimante.

« Eh hé. Eh hé hé hé. Un réveillon de Noël centré sur la romance ? C'est à peine reconnaissable comme ça, mais ça regorge d'une excitation inattendue. Ké hé hé hé hé hé. »

« Attends. Quelque chose ne tourne pas rond, là. C'est quoi cette personnalité de dingue ? C'est quoi la suite, tu vas dire que tu es une reine extraterrestre descendue sur terre sur un météore pour s'amuser un peu !? »

Il était sorti pour aller à la supérette du coin. Il avait entendu quelque chose à l'arrière et avait jeté un coup d'œil. Il y avait trouvé une petite fille.

Pire encore, elle avait sorti un téléphone sur un coup de tête et utilisé sa petite main pour le braquer vers une bande de voyous extrêmement « intellectuels » qui trafiquaient la fibre optique d'un distributeur automatique pour voler les numéros de carte et les codes PIN de tous ceux qui l'utilisaient.

De plus, ils ne l'avaient pas dépouillée de ses vêtements ou quoi que ce soit de ce genre. Elle était dévêtue depuis le début. La vilaine fille s'était baladée audacieusement dans la ville en pleine nuit et avait secrètement filmé les voyous depuis le coin de la rue pour profiter elle-même de cette situation déprimante.

La Cité Académique était-elle une cause perdue à ce stade ?

« Hé, reviens ici !! Tu viens de nous filmer !? Attends !! »

« Awawa ! C'est une mauvaise nouvelle, patron !! On est foutus si elle met ça en ligne sur un site de vidéo !! »

« Inquiète-toi plutôt d'Anti-Skill puisqu'ils ont des menottes et des flingues !! Et ce qu'il fait n'est-il pas encore pire !? Comment ça se fait que ce soit nous les méchants ici !? »

Ces gens avaient beaucoup d'énergie pour des types portant des débardeurs en plein hiver. Leur liste d'objets équipés devait inclure « muscles épais » en plus de « pantalon » et « sous-vêtements ». Aussi, les raisons de chercher la bagarre avec quelqu'un avaient apparemment été mises à jour pour l'ère numérique. Si vous décidiez de filmer tout ce qui vous entoure juste parce que vous aviez un téléphone et rien de mieux à faire, vous risquiez de déclencher une bagarre avec quelqu'un.

Surtout si vous les preniez en flagrant délit !

(Pourquoi est-ce comme ça que je passe le réveillon de Noël ?) se demanda Kamijou. (Pourquoi est-ce comme ça que n'importe lequel d'entre nous passe le réveillon de Noël !?)

« C'est l'hiver et il neige. On peut voir notre souffle, alors qu'est-ce que tu fabriquais bon sang !? »

« Ce n'est pas comme si je faisais ça parce que c'est l'hiver. En fait, j'espérais un peu que le printemps arrive bientôt. »

« ... »

« Oh ? »

Les enfants peuvent donner l'impression de ne pas remarquer grand-chose, mais ils peuvent en fait être prompts à capter les légers changements d'atmosphère. La petite fille cessa brièvement d'agiter ses pieds nus.

Il ne pouvait pas s'engager dans une conversation banale sur le printemps. Parce que ses souvenirs ne remontaient qu'à l'été.

Cependant, lui expliquer cela ne résoudrait rien. Pour l'instant, il avait seulement perdu ses souvenirs et il se rappelait toujours comment lire et écrire et ce qu'il avait étudié à l'école, donc cela ne causait pas trop de problèmes dans sa vie quotidienne. Il régula consciemment sa respiration, mais la saison lui causa encore des soucis. Avec son souffle visiblement blanc, on aurait dit qu'elle pouvait voir une partie de ses pensées.

Cependant...

« Comment comptes-tu t'enfuir ? » demanda la petite fille collante(?) à travers son sourire en croissant de lune.

Ce n'était qu'une petite fille, mais elle restait une petite fille. Ce poids excédentaire dans ses bras le ralentissait. Les voyous avaient l'air de pouvoir le rattraper s'il essayait de courir à toute vitesse en ligne droite, alors il zigzagua à travers les petites rues latérales et les virages pour tenter de s'échapper hors de leur vue au lieu de simplement s'éloigner le plus possible de ses poursuivants.

« Où est-ce qu'ils sont passés, bordel !?

« Envoyez la voiture ! On avait une voiture autonome en attente, alors faites-la leur couper la route de l'autre côté !! »

« Je viens d'envoyer un drone ! Ils ne pourront jamais échapper à notre filet de prédateur avec mon œil céleste omniscient qui les observe !! »

(Hein ? Voilà pourquoi il ne faut pas donner toute cette technologie sophistiquée à des idiots !! Ce singe qui a pris un selfie avec l'appareil photo trouvé dans la forêt valait mieux que ça !!)

Aussi, l'un d'eux semblait ne pas avoir encore totalement surmonté sa phase chuuni. Si seulement c'était une fille mignonne et inoffensive à la place.

Mais peu importe, c'était les gens qui avaient trafiqué la fibre optique reliée au distributeur derrière la supérette. Après avoir échoué au programme de développement des espers de la Cité Académique et avoir été étiquetés comme Niveau 0, ils avaient peut-être décidé de s'en remettre à des astuces et des outils à la place.

Mais d'un autre côté...

(Ils comptent sur la technologie comme une voiture autonome et un drone. Dans ce cas...)

« Le métro !! »

Cela lui permettait d'échapper aux deux à la fois. Les trains de la Cité Académique s'arrêtaient lorsque le couvre-feu des étudiants entrait en vigueur, mais les magasins et les passages de correspondance à l'intérieur des gares restaient ouverts tard. Kamijou dévala les escaliers avec la petite fille nue dans ses bras et posa enfin ce bagage à la peau claire.

Il s'accroupit pour se mettre à sa hauteur. Sa vaste expérience du malheur lui avait appris que les situations de vie ou de mort n'étaient pas toujours des affaires dramatiques. Peu importe à quel point tout cela était stupide, on pouvait perdre la vie si on ne prenait pas la chose au sérieux. C'était le moment de se fier à l'atmosphère tendue qu'il ressentait.

« Écoute, il y a six sorties dans cette gare, mais ignore-les toutes. Les passages de correspondance ici t'emmèneront à la station suivante, donc tu devrais pouvoir quitter cette station et être hors de portée de leur surveillance par drone. Je vais attirer ces idiots vers l'ouest, alors profite de cette ouverture pour sortir à la station suivante et cours vers un endroit où il y a beaucoup de monde. Presque toutes les grandes gares qui rejoignent une ligne de surface ont un poste d'Anti-Skill. Aujourd'hui c'est le 24, alors ils seront sûrement en train de patrouiller sur la place publique. Compris ? »

« J'ai peur, Onii-chan. »

« Oh, la ferme !! Je ne peux pas faire plus de compromis que ça !! »

« D'ailleurs, cette réunion stratégique dure un moment. Avions-nous vraiment le temps de rester là à discuter ? »

« ...? »

Kamijou Touma réalisa enfin que quelque chose clochait. Un rugissement assourdissant résonna dans ses tripes. Mais pas devant, derrière, à gauche ou à droite. Cela venait d'en haut. La peur sembla le gifler sur les joues au lieu de bourdonner dans ses tympans, c'était peut-être similaire au fait de voir la foudre frapper un grand arbre à moins de cinq mètres.

Foudre. Un courant à haute tension.

Mais il ne saignait pas et n'était pas brûlé. C'était une station de métro. Il va sans dire que l'épais sol le protégeait d'en haut. Cela ne lui était pas venu immédiatement à l'esprit, mais c'était peut-être parce que son esprit avait connu quelques secondes de confusion, comme s'il avait été frappé par une grenade assourdissante.

Oui, quelque chose s'était passé dehors. Kamijou leva les yeux vers le plafond en béton.

« Reste ici. »

Quelque chose de très inhabituel se tramait. Il ne pouvait plus s'enfuir à l'aveuglette en espérant s'échapper. S'il n'allait pas voir ça pour saisir les règles de ce à quoi il était confronté, il était sûr de mourir. Même dans ce monde de science, cette « prémonition » s'enfonça au centre de son dos comme une aiguille invisible.

Il retint même son souffle en posant ses pieds sur l'escalier en béton froid. Une marche. Deux marches. Trois marches.

Alors qu'il remontait progressivement vers la surface, la sensation de picotement sur sa peau continua de croître. Il supposa d'abord que c'était dû à sa tension, mais il avait tort. C'était physique. Il vit une faible lumière comme de la peinture phosphorescente ou comme une lumière fluorescente qu'on pensait avoir éteinte. L'air lui-même était électrifié. Une faible puanteur frappa son nez. C'était une puanteur inconnue qui lui rappelait quelque peu le désinfectant. C'était peut-être de l'ozone.

Il devait rester caché. Il le savait intellectuellement, mais il ne pouvait pas empêcher ses réactions biologiques. Il déglutit.

Et. Donc.

« Hé », dit une voix de fille.

C'était tout ce qu'il y avait. Ces abrutis high-tech avaient été armés de couteaux non métalliques, de matraques et même d'arcs et de flèches fabriqués avec une imprimante 3D, et pourtant ils gisaient tous immobiles éparpillés sur le sol autour d'une seule silhouette. Une masse de métal gisait ouverte comme un piège à ours. Était-ce la voiture autonome, par hasard ?

Une seule personne avait fait tout ça. Les lampadaires voisins devaient avoir été mis hors service car il faisait plus sombre qu'avant. Quelque chose ressemblant à des feux follets blanc bleuté flottait autour, mais était-ce un feu de Saint-Elme, une forme d'effet corona ? En y regardant de plus près, il put voir que c'étaient les extrémités mêmes des trois pales d'une éolienne qui luisaient faiblement.

Mais tout comme la lumière des lucioles ne suffisait pas à éclairer une forêt sombre, ces quelques points de lumière ne suffisaient pas à empêcher la zone d'être engloutie par l'ombre.



Illustration scène


Donc au début, il ne put voir que la silhouette de la personne qui se tenait au centre de tout ça. De l'électricité blanc bleuâtre crépitait comme un tueur d'insectes électrique et illuminait la source d'énergie capable de fournir jusqu'à un milliard de volts. Il vit des cheveux châtains courts, des yeux triomphants et une petite carrure. La fille triomphante portait un duffle-coat du Collège Tokiwadai à l'aspect duveteux et le bas d'une jupe courte, et ses jambes nues et claires dépassaient en dessous.

« Misaka ? »

« J'aimerais vraiment une explication pour tout ça. »

Il en aimerait bien une aussi. Que faisait une collégienne de cette école prestigieuse hors de son dortoir à errer dans la ville à cette heure de la nuit, et pourquoi était-elle apparue de nulle part pour régler leur compte à ces voyous en utilisant un courant à haute tension ? Tous les méfaits n'étaient pas le résultat d'un plan machiavélique. Cet endroit regorgeait d'armes dangereuses qui pouvaient être utilisées pour tuer sur un coup de tête momentané. Ou bien rien de tout cela ne s'inscrivait-il comme une menace pour cette fille ?

Niveau 0, Niveau 1, Niveau 2, Niveau 3, Niveau 4 et Niveau 5.

Quatre-vingts pour cent de la ville, soit un total d'1,8 million de personnes, étaient classés dans ces six catégories et elle faisait partie du groupe tout au sommet. Elle possédait un talent que l'on ne voyait que chez sept personnes au sein de la Cité Académique. Parmi ces sept, elle était la numéro 3, le Railgun. On disait d'elle qu'elle était la plus forte lorsqu'il s'agissait de pouvoirs purement électriques.

« Ouais, eh bien, expliquer ça pourrait être délicat. Tu vois, j'ai été entraîné là-dedans tout d'un coup et je courais juste pour ma vie, donc je ne sais pas vraiment ce qui se passe. Mais je pense que je m'en suis plutôt bien sorti pour un Niveau 0. Donc— »

Il ne termina jamais sa phrase. Son corps entier fut frappé, non pas par un son, mais par une onde de choc qui fut libérée après avoir brisé l'isolation de l'air. Pourtant, Mikoto n'avait pas essayé de l'attaquer. Même ça, ce n'était qu'un accident. Elle avait simplement échoué à contrôler correctement son pouvoir et un amas désordonné d'électricité avait jailli de sa frange. Bien que même cela aurait pu suffire à tuer quelqu'un s'il avait été touché.

Mais Kamijou Touma ne fut pas tué. Des résidus brillants de l'électricité éclatèrent depuis la main droite tendue devant son visage. Avec une puissance estimée à plus d'un milliard de volts, le radar moyen exploserait dans une gerbe d'étincelles s'il se trouvait à proximité quand elle faisait ça. Pourtant, il l'avait annulée avec de la chair et du sang non isolés.

Alors...

« Un Niveau 0 ? Ne me raconte pas de conneries. »

Sa voix était terriblement basse pour une fille charmante, même si elle baissait la tête. C'était le seul et unique pouvoir d'un certain garçon — Imagine Breaker. Il n'affectait que sa main droite jusqu'au poignet, mais il pouvait annuler n'importe quel pouvoir surnaturel.

Une lueur belliqueuse entra dans ses yeux.

« J'espérais partager pacifiquement les informations que nous avions et mener une petite enquête pour vérifier certaines choses, mais on dirait que ça ne va pas se passer comme ça. ...Mince, et je voulais vraiment garder cette méthode brutale en dernier recours !! »

« Pacifiquement ? »

La fille lui répéta le mot et releva enfin la tête. La numéro 3 foudroya le garçon du regard.

« Qu'est-ce qu'il y avait de pacifique là-dedans !? C'est qui cette fille nue !? Est-ce que tu sais au moins quel jour on est !? Le réveillon de Noël a déjà commencé, alors comment as-tu fini par faire un truc pareil !? Tu voulais être l'étoile brillante du monde des pervers ou quoi !? T'es stupide !? Tu essayais de te faire tuer !? Et tu voulais "mener une petite enquête" !? Qu'est-ce que tu espérais "enquêter" en amenant une petite fille nue dans une station de métro sombre, froide et déserte !? Eh bien, tu as quelque chose à dire pour ta défense !!!??? »

(Oh, non. Qu'est-ce que je fais ? Cette fille riche et violente marque des points pertinents. J'ai peut-être pris plusieurs mauvais tournants en chemin.)

Et alors qu'il restait là, hébété, un démon surgit de derrière lui. La petite fille nue s'accrocha à sa hanche avec seulement le tissu fin et inadéquat remonté jusqu'à sa poitrine. Ses lèvres formaient toujours un sourire fendu en croissant de lune. Les yeux de Misaka Mikoto commencèrent à tournoyer de panique.

« J'ai peur, Onii-chan. »

« Quoi— ? »

« Va tabasser le méchant qui fait peur. Après on pourra faire une promenade nocturne secrète ensemble, d'accord ? Hi hi hi. Le réveillon de Noël n'arrive qu'une fois par an, mais il vient tout juste de commencer. »

« ...!! »

Tous les poils de Kamijou se hérissèrent. Un instant plus tard, quelque chose quitta Misaka Mikoto. Ou plutôt, une explosion bleue mineure jaillit d'elle dans toutes les directions


Between the lines 1

La Cité Académique comptait environ 2,3 millions d'habitants, dont quatre-vingts pour cent étaient des étudiants. La ville géante occupait un tiers de la zone métropolitaine de Tokyo et les règles différaient de bien des façons à l'intérieur et à l'extérieur des murs qui l'entouraient. Par exemple, le maintien de l'ordre n'était pas assuré par la police. À la place, le travail à l'échelle de la ville était géré par les enseignants d'Anti-Skill et le travail dans les écoles individuelles était géré par les élèves de Judgment.

C'était pourquoi le professeur de sport, Yomikawa Aiho, était aussi un officier d'Anti-Skill avec l'autorité d'utiliser des menottes et une arme de poing. Elle portait normalement un survêtement vert chaque fois qu'elle sortait et, même lorsqu'elle maîtrisait des garçons et des filles criminels avec son bouclier transparent et le sourire aux lèvres, elle s'était juré de ne jamais braquer une arme sur un enfant, quelle que soit la puissance de ses pouvoirs d'esper. Cependant, elle enfreignait l'une de ses règles aujourd'hui.

Elle portait un costume noir au lieu de son survêtement. Elle espérait ne pas avoir à enfreindre l'autre règle. Elle l'espérait très fort

« Par ici. »

Sur les instructions d'un guide à la voix froide, elle marcha le long d'un couloir sinueux. Il serait facile de s'y perdre et difficile d'y pousser un chariot. Le principe de base était le même que dans les vieilles demeures de samouraïs, mais l'idée ici n'était pas de rendre difficile le maniement d'une épée ou d'une lance. L'idée était d'entraver les mouvements des drones de combat d'intérieur. Des obstacles réfléchissant les signaux EM et IR étaient discrètement intégrés à l'architecture et le sol comportait des marches montantes et descendantes sans signification. Les principes bienveillants de l'accessibilité avaient dû être renversés pour concevoir des obstacles que les roues et les chenilles ne pouvaient franchir.

D'un point de vue technique, cela pouvait sembler assez simple, mais l'architecture réelle ne fonctionnait pas comme les manoirs bizarres des romans policiers. Le gouvernement n'autoriserait jamais quelqu'un à concevoir un bâtiment qui empêchait intentionnellement les fauteuils roulants et les béquilles de passer. Cela signifiait que quelque chose se cachait ici qui nécessitait une protection suffisante pour que l'infraction aux règles soit considérée comme valant la peine.

Il n'y avait pas de caméras de sécurité. C'était peut-être pour éviter le risque qu'elles soient piratées et fassent fuiter des informations à l'extérieur. Un garde distinct de son guide se tenait devant une grande porte en blindage composite. Passait-il toute la journée ici ? Il y avait une chaise pliante à côté de la porte. Yomikawa fronça les sourcils.

« Je ne vous reconnais pas. »

« J'imagine que non. Vous n'avez pas l'autorité nécessaire pour m'avoir vu auparavant. »

« Alors servez-vous l'un des douze directeurs ? »

Kaizumi. Oyafune. Nakimoto. Shiokishi. Yakumi.

C'étaient quelques-unes des figures légendaires sur lesquelles même Yomikawa n'avait entendu que des bribes d'informations. La Cité Académique détenait toute la technologie de la planète et ces douze monstres adultes formaient le groupe ayant le plus de pouvoir sur la ville. Mais elle n'avait aucun moyen de savoir si les histoires qu'elle avait entendues étaient vraies. Toutes ces histoires étaient aussi absurdes que celles sur les hommes en noir en contact avec des extraterrestres et Yomikawa avait personnellement le sentiment que la vérité était encore pire. C'étaient les VIP les plus cruciaux d'un point de vue sécuritaire, donc il n'était pas toujours clair quand l'un d'eux mourait ou était remplacé.

« Non. »

Mais l'homme attendant à la porte comme une machine rejeta cette idée. Et...

« Je travaille pour le seul et unique président du conseil d'administration et personne d'autre. »

« ... »

C'était encore un autre niveau. Yomikawa se tut et l'homme parla d'une voix monocorde. C'était plus ou moins un ordre.

« Vous devez subir une fouille corporelle. »

« J'en ai passé une à l'entrée. »

« Maintenant. »

Il était encore moins bavard qu'un distributeur de banque. Son parcours scolaire, ses compétences, sa santé, ses antécédents et son comportement avaient dû faire l'objet d'une enquête approfondie avant qu'on ne lui confie ce poste, mais « ne remet jamais ses ordres en question » devait être l'une des qualifications nécessaires qu'ils recherchaient.

Yomikawa leva les deux mains dans son costume noir et le gardien sortit un objet en forme de bâton. Cela ressemblait aux bâtons lumineux colorés que les ouvriers du bâtiment tenaient pour guider les voitures, mais c'était différent. C'était un capteur utilisant le rayonnement térahertz. Leur utilisation s'était rapidement répandue maintenant que des pistolets-mitrailleurs et des fusils d'assaut en plastique pouvaient être facilement fabriqués par n'importe qui utilisant des imprimantes 3D. Ils pouvaient voir à travers les vêtements des gens pour détecter même les objets non métalliques.

Les pouvoirs d'esper n'étaient pas la seule chose à craindre dans la Cité Académique. Les adultes qui formaient vingt pour cent de la population utilisaient une technologie de nouvelle génération pour contrôler les enfants qui formaient quatre-vingts pour cent de la population et possédaient des pouvoirs surnaturels.

« Je vais garder votre téléphone. »

« S'il le faut. »

« Veuillez retirer votre pince à cravate. Et est-ce la fermeture éclair latérale de votre jupe ? »

« Avez-vous besoin de confisquer l'agrafe de mon soutien-gorge aussi ? »

L'homme passa le capteur sur son torse et son dos avant de répondre d'une voix robotique.

« Ce ne sera pas nécessaire. »

La grande porte s'ouvrit, mais il n'y avait rien de l'autre côté. Seulement une autre porte. Les deux couches de porte offraient une sécurité supplémentaire, mais elles empêchaient aussi les gardes d'espionner ce qui se trouvait vraiment « à l'intérieur ». Une fois que Yomikawa fut entrée dans cet espace exigu, la porte se referma derrière elle, sa fermeture fut confirmée et les verrous de la seconde porte se débloquèrent. Elle trouva une petite pièce à l'intérieur. Cela devait suffire à son occupant. Elle ne contenait qu'une table transparente et deux chaises bon marché. C'était aussi une pièce sans fenêtre.

« Ça fait trop longtemps », dit Yomikawa Aiho comme si elle relâchait doucement son souffle.

La personne aux cheveux blanc pâle était assise sur l'une des chaises, les jambes légèrement croisées sur la table. Ses yeux rouges foudroyèrent la visiteuse en retour.

« Alors, qu'est-ce qui t'a amenée à me demander moi en particulier ? »

Il avait peut-être plus d'une décennie de moins qu'elle et la barrière entre adulte et mineur se dressait entre eux, mais c'était elle qui devait montrer du respect ici. Elle affichait cela sans mot dire avec son costume. Quand elle prononça le nouveau titre de ce garçon, sa voix portait un sentiment de crainte révérencieuse. Et aussi une certaine déception.

« Nouveau Président du Conseil d'Administration de la Cité Académique, Accelerator-san ? »